Lina DARSOULANT


Moins de six moisRevenu.e dans sa collectivitéAutreCanada

Lina Dominique DARSOULANT a 48 ans.
« Si vous pouvez le faire, faites-le » Lina Dominique DARSOULANT a saisie l’opportunité proposée par la direction de la Coopération de la Communauté d’Agglomération de l’Espace Sud où elle exerce le métier d’ambassadrice du tri sélectif depuis 11 ans. Elle a vécu six mois en immersion au Québec tout en assurant, trois jours par semaine, son activité professionnelle, en télétravail à 3700 kms de la Martinique. Elle est l’exemple que les mobilités internationales ne sont pas réservées qu’aux catégories A dans les collectivités et l’illustration d’une activité d’ouverture professionnelle réussie grâce aux partenariats de collectivités à collectivités.
Entretien réalisé en janvier 2025

Son parcours

Lina Dominique DARSOULANT a travaillé très rapidement après le lycée. Intéressée par l’environnement (« ‘j’étais celle qui rappelait à toute ma famille l’importance du tri quand j’étais jeune »), elle suit une formation professionnalisante à l’AFPA pour devenir « agent technique de déchetterie ». Elle obtient son titre de compétence professionnelle après 8 mois de formation et elle intègre l’association « EcoCivisme » engagée sur la sensibilisation au tri sélectif.

En 2013, elle rejoint l’équipe de la Communauté d’Agglomération de l’Espace Sud : « nous sommes une équipe de 7 ambassadeurs du tri. Nous faisons de la sensibilisation en milieu scolaire, de la sensibilisation en porte à porte,  nous animons des réunions de quartier, des stands d’informations pour la population. Nous réalisons aussi des accompagnements pour les entreprises qui produisent beaucoup de déchets ».

Aujourd’hui Lina Dominique DARSOULANT est titulaire de la fonction publique territoriale, sur le grade d’adjointe technique 2ème classe (cat C).

L’opportunité

La communauté d’agglomération de l’Espace Sud est en coopération avec la MRC de Montmagny, Chaudière-Appalaches, au Canada (Grande banlieue de Québec) depuis plusieurs années. En 2022, les deux collectivités s’engagent sur « une coopération pour ouvrir nos horizons et renforcer nos compétences à l’international, par le biais d’échanges de pratiques, d’expériences et d’expertise de nos agents [1]».

La direction de la coopération diffuse alors un courriel en interne pour identifier de possibles candidats pour des séjours d’immersion au Québec. Lina Dominique DARSOULANT (de nature curieuse) répond positivement à cet appel : « j’avais envie d’aller voir la gestion des déchets au Canada, pays qui a une bonne réputation dans ce domaine ». Elle est l’une des rares à avoir répondu. « Cela ne s’est pas bousculé ».

Rien ne se passe pendant quelques mois. « J’avais oublié ce courriel ».

En janvier 2024, une délégation du Canada vient en Martinique. Cela relance l’idée de ces échanges croisés et la direction de la Coopération revient vers elle. Lina Dominique DARSOULANT analyse en positif et en négatif cette opportunité. « En positif, je n’ai pas d’attache ou d’obligation et ma fille est autonome (23 ans), comme mes parents. ». Et en négatif ? « il n’y en avait pas ! si ce n’est trop de questions de doutes sur le climat, sur mes capacités, etc. »

Lina Dominique DARSOULANT a un peu voyagé. « juste à Miami pour le Black Friday ou quelques voyages dans la Caraïbe » mais jamais au Canada. En revanche son père , qui était président d’un groupe folklorique martiniquais, partait souvent au Canada « il me racontait le pays et ramenait du sirop d’érable ».

Début 2024, la Directrice générale de la MRC de Montmagny (Nancy Labrecque) séjourne 3 mois à l’Espace Sud[2]. Elle rencontre les candidats et candidates et propose à Lina de faire le premier séjour au Québec. « la MRC devait mettre en place une politique de tri des déchets organiques, ce que nous pratiquons ici à la Martinique depuis 2007 ».

Elle en parle alors à sa direction : « j’ai eu un directeur et une cheffe de service très ouverts. C’était pour eux une occasion unique que je vive une belle expérience ».

 fonctionnement sur place

Lina Dominique DARSOULANT est partie en mission d’immersion pour 6 mois du 23 mai 2024 au 22 novembre 2024, ou juste un peu moins de 6 mois pour éviter la limite des visas. En effet, elle ne part pas comme salariée de MRC (voir les difficultés dans la fiche de Sylvaine Courant – https://ocil-expat.org/portrait/sylvaine-courant/) mais comme stagiaire, ce qui lui permet de séjourner avec un simple visa touristique.

Sur le plan statutaire, elle continue à travailler pour l’Espace Sud, en télétravail, trois jours par semaine (cadre légal)[3]. « J’appelle par téléphone les usagers martiniquais comme si j’étais au siège de la CAES à Rivière Salée. – l’Espace Sud lui installe pour cela une application sur son ordinateur- De plus, il n’y a pas de décalage horaire entre Montmagny et la Martinique. » C’est donc la CA Espace Sud qui lui verse son salaire en Martinique.

Et deux jours par semaine, elle est en immersion / stage avec les équipes de la MRC.

Cette immersion est un choc : « j’étais perdue dans l’organisation ». Elle arrive dans une collectivité plus petite que la CA Espace Sud (« 90 agents contre 300 en Martinique ») mais « ils sont mélangés dans des open-space, sans regroupement par service ». Il lui faut plusieurs semaines pour identifier tous ses interlocuteurs. Mais cela se passe très bien. Elle est rattachée directement auprès de la DG « il n’y a pas toute ces couches hiérarchiques qu’il y a chez nous. Le management est plus direct et plus simple dans la réalisation des projets. On se tutoie ». Mais attention, si aussi amicale que soient les relations, si vous ne convenez pas, vous partez. « Toutefois, cela ne me concernait pas en tant que stagiaire donc je n’avais pas cette pression ».

Sur le plan professionnel, elle est accompagnée par une Française qui travaille à la MRC depuis 14 ans. Cela lui permet de participer à plusieurs projets locaux : « nous avons créé un marché aux puces entre un producteur de tissus et des artisans couturiers ce qui a permis d’évier l’enfouissement d’un tonnage important de tissus. Puis durant une semaine, j’ai participé à un projet de renaturation après la destruction d’un vieux barrage ».

Sur son sujet d’intérêt, le tri, elle découvre une situation paradoxale : « quand j’ai pris la décision de partir, je plaçais le Canada à la pointe du tri. Une fois arrivée, certes j’ai découvert des espaces publics propres sans trop de déchets au sol. Mais en fait ils ne sont pas si en avance que cela. Le tri à domicile n’est pas très poussé, il peut y avoir beaucoup de défauts, en revanche ils ont des centres de tri à la pointe de la technologie, de ce fait, la population n’a pas besoin d’être rigoureuse, pas de contrôle en amont. Ce qui est très pénalisant quand on veut sensibiliser sur de nouveaux comportements. »

A son arrivée, la DG de la MRC est toujours en Martinique. A son retour, en juillet, « elle a refait mon accueil avec un réel souci d’intégration dans l’équipe et me confie des missions pour que je me sente utile ». Lina Dominique DARSOULANT participe à la mise en place du tri des déchets organiques par composteurs rotatifs. Puis dans un second temps on lui confie la charge de réaliser un diagnostic sur la gestion des déchets sur les 14 communes. « C’était génial car j’ai pu découvrir le territoire qui est vaste » Il faut plus d’une heure de voiture entre le Nord et le Sud de la MRC qui s’étend sur quelques 80 kms.

Lina Dominique DARSOULANT découvre alors que la MRC ne possède pas de véhicule de fonction contrairement aux collectivités françaises. « En effet, au Québec, tout le monde à sa voiture. Donc la MRC a mis un système de remboursement des frais qui est assez avantageux pour les agents ». Elle va donc, pour son diagnostic, louer une voiture. « Les locations se font à partir d’internet, directement en ligne. Mais c’est assez compliqué. Je me fais aider mais arrivée à l’agence, on constate que nous avions confondu $américains et $canadiens ». Lina Dominique a donc un surcout de 45% sur sa location. Heureusement, le responsable de l’agence est d’origine martiniquaise. Il bidouille un peu et « me propose de me surclasser et de me donner une électrique » pour économiser sur le gasoil. Lina Dominique s’esclaffe : « Moi Dominique dans une Tesla au Canada !! » avec un grand sourire.

Les enjeux personnels

Au plan financier, la CA Espace Sud verse à Lina Dominique DARSOULANT, 1000 € de compensation pour les frais liés au voyage et à son installation. Par ailleurs, elle n’a pas de compte bancaire au Québec : « à chaque fois que je retirai de l’argent, notamment pour mon loyer, ou que je payais mes achats par carte j’avais des frais bancaires importants ».

Le coût de la vie est similaire mais les prix sont très différents suivant les produits : « les produits frais sont beaucoup plus chers ainsi que l’alcool. Et surtout, le prix affiché ne comprend pas les taxes : il faut faire attention». Au-delà du prix, elle ne retrouve pas les mêmes produits ou ceux-ci ne sont pas présentés avec les mêmes noms. Un temps d’adaptation est nécessaire. « J’ai trouvé une boutique de produits tropicaux tenu par un africain qui faisait venir des produit de la caraïbe. J’ai pu faire des accras et organiser une dégustation pour mes collègues et amis ».

Au niveau assurance, la CA Espace Sud a souscrit pour elle une complémentaire. « Je suis partie avec tous mes médicaments pour mon asthme pour six mois (sans oublier l’ordonnance pour passer la douane canadienne). Je n’ai pas eu de souci de santé en six mois ! ».

Sur le plan climatique, Lina Dominique DARSOULANT redoutait un peu le froid. Mais elle part au printemps à la fonte des neiges « c’était la période idéale ». Elle revient avant le grand froid (« j’ai quand même eu la chance de voir les premiers flocons. C’était la première fois de ma vie que je voyais la neige »).

A son arrivée, l’installation est fortement simplifiée : « au Canada, ils ont préparé mon arrivée bien an amont. Ils avaient identifié mon logement – laissé vacant par une ancienne employée de la MRC – très bien situé à 5 min à pied des bureaux de la MRC, pour un faible loyer » (500 $Can[4]).

De plus, Lina Dominique DARSOULANT retrouve une jeune martiniquais venue travailler à Montmagny via un programme de mobilité entre Espace Sud et la MRC. « Présente au Québec depuis 9 mois, elle m’a donné pleins d’information par tél avant mon arrivée et m’a fait découvrir la ville les premiers jours ». Ensuite, Lina qui est une grande marcheuse, fait de multiples circuits « c’était magnifique ».

Sur le plan social elle « n’a pas de réticence pour aller vers les gens ». Elle se lie d’amitié avec sa propriétaire et ses voisins. Elle découvre aussi que les agents de la MRC sont très engagés dans des activités bénévoles et elle participe ainsi à de nombreuses activités interculturelles.

Et le retour ?

A son départ, Lina Dominique DARSOULANT n’avait pas annoncé cela à ses collègues tant que tout n’était pas validé. Une fois assurée de partir, son annonce avait étonné ses collègues. S’il y avait un peu d’envie, en voyant l’ensemble des démarches qu’elle devait faire pour ce départ, il n’y avait pas eu d’autres postulantes.

Et du fait de la continuité de sa mission, par le télétravail, elle ne quitte pas vraiment l’équipe, qu’elle voit deux à trois fois par semaine lors des réunions auxquelles elle participe en visio. A son retour « l’accueil est formidable ».

Au retour « si j’étais déjà ouverte et à l’aise dans mes activités, j’ai plus confiance en moi dans ce que je suis capable de faire ? Aujourd’hui j’envisage de passer une VAE .

« Avec mon équipe, je propose de nouveaux projets. J’ai rapporté de nombreuses expériences comme les friperies de qualité ou les ressourcerie dans nos déchèteries ».

« Je sentais que je stagnais un peu après 13 années à l’Espace Sud. Je suis revenue reboostée »

Son conseil

Quand Lina DARSOULANT est partie, elle se posait la question sur la durée du voyage. Est-ce que les six mois ne seront pas un peu longs ? « C’est en fait la bonne durée. En moins de six mois cela aurait été moins intéressant (pour l’adaptation à une nouvelle culture, à l’accent) et au-delà, cela aurait été difficile financièrement ».

Son conseil : « Si vous pouvez le faire, faites-le ». Certes il faut se préparer en amont mais c’est une vraie opportunité personnelle et professionnelle ; « quand je raconte mon expérience, les gens voient des étoles dans mes yeux ».

 

Entretien réalisé par Yannick Lechevallier

https://www.linkedin.com/in/yannick-lechevallier-23059819/

Janvier 2025

[1] Projets retenus 2023-2024 et 2024-2025 par l’Appel à projets du Fonds franco-québécois pour la coopération décentralisée (FFQCD) https://www.quebec.ca/gouvernement/relations-internationales/appels-projets-international/commission-permanente-cooperation-franco-quebecoise/cooperation-decentralisee/projets-retenus-2023-2025

[2][2] https://www.montmagny.com/tout-est-probablement-probable-dans-la-mrc-de-montmagny-la-directrice-generale-en-mission-en-martinique-pour-3-mois/

[3] https://www.fonction-publique.gouv.fr/etre-agent-public/mon-quotidien-au-travail/le-teletravail-dans-la-fonction-publique/le-cadre-juridique-du-teletravail-dans-la-fonction-publique

[4] Soit environ 340 €


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