Karine LAMBERT


QatarEn poste au moment de la rédactionRéseau France (MEAE, Alliance française, Expertise France, …)DétachementDe un an à moins de deux ans

Karine LAMBERT a 55 ans. Elle est ingénieure territoriale depuis 2003 spécialisée dans le management des services « environnement » au sein des collectivités locales. Elle a assuré notamment la direction du Développement durable dans la province Sud en Nouvelle Calédonie. En 2022, elle postule sur une offre du MAE (portée par Expertise France). Elle est depuis décembre 2023 « Experte Technique Internationale » au Qatar où elle accompagne et conseille les autorités qatariennes sur le déploiement de la nouvelle stratégie de gestion des déchets, la mise en place de pratique et de gestion respectueuse de l’environnement et le développement d’une économie circulaire.
« Vivre certaines situations, cela me fait grandir. Cette diversité de points de vue dans les discussions ouvre d’autres perspectives ».
Entretien réalisé en juillet 2024

Son parcours

Karine LAMBERT a suivi ses études d’ingénieurs à l’INSA de Lyon et passé son diplôme en 1991. A la sortie, elle intègre l’ADEME où elle reste 11 années, se spécialisant sur la gestion des déchets. En 2002 elle passe le concours d’ingénieure territoriale qu’elle réussit et en 2003, elle intègre les collectivités : elle débute alors à la Région Centre comme Chargée de mission au pôle Excellence Energétique.

En 2007, elle change de région et intègre la Région Poitou Charentes. Dès 2008, elle devient Cheffe de service sur la thématique de la Maîtrise d’Energie et Energies renouvelables. En 2015, elle est DGA par Intérim « Environnement Agriculture Eau Habitat durable ». En 2016, avec la fusion des régions, elle est rattachée à la Région Nouvelle Aquitaine comme Directrice de l’Environnement (où elle gère 3 sites, 3 services et 41 agents).

En 2018, Karine LAMBERT part en détachement pour une expérience en Nouvelle Calédonie. Elle rejoint la Province Sud comme Directrice de l’Environnement puis du Développement durable des territoires. Elle y reste deux ans. Son retour en Nouvelle Aquitaine est compliqué (« J’ai été mise en surnombre »). Après 7 mois elle trouve un poste à la Métropole du Grand Lyon comme Directrice « Environnement, Ecologie, Energie » où elle pilote de la direction chargée de la mise en cohérence des politiques énergétiques, environnementales, agriculture et alimentation engagées dans le mandat et la construction de la stratégie en matière de nature et biodiversité́ aux différentes échelles de l’agglomération.

Au cours des dernières années, par l’entremise d’une ancienne collègue, Karine LAMBERT effectue, sur ses congés, deux missions de quinze jours pour le FMI, au Tchad et en République Démocratique du Congo (« en mode commando : 4 personnes partent sur une thématique précise et rendent un rapport en fin de mission »).

Elle intègre son poste d’ETI au Qatar en décembre 2023. Son contrat est de 18 mois dans un premier temps auprès du Ministère des Municipalités (Département traitement et recyclage des déchets)

Le départ et le fonctionnement sur place

Karine LAMBERT se sentait arrivée à un niveau de maturité professionnelle lui permettant d’aller travailler à l’étranger : « cette expérience est intéressante pour valoriser notre expertise et la mettre en œuvre dans un autre contexte ». Elle commence par de courtes missions pour le FMI qui lui donne le goût de ce type d’intervention.

A l’été 2022, Karine LAMBERT voit une annonce pour un poste d’ETI (Expert Technique International) sur la thématique des Déchets et de l’économie circulaire au Qatar. Le pays a de l’argent donc des moyens disponibles pour lancer de beaux projets. Elle candidate à l’été 2022. Mais ce n’est qu’à l’été 2023 qu’Expertise France revient vers elle. Malgré un niveau d’anglais jugé limite, elle est rattrapée au second entretien : elle est finalement retenue et signe un contrat de 18 mois (CDDU) avec Expertise France après avoir obtenu un détachement de sa collectivité. « Lorsque Expertise France m’a proposé le contrat, je n’ai pas discuté les conditions – qui sont acceptables vue depuis notre statut de territorial : pas d’impôts, prime pour le logement, etcet au regard de mes motivations qui étaient celles de pouvoir me confronter à un nouveau modèle et à une autre culture pour continuer à apprendre ».

Mais Karine nous précise tout de même que « partir nécessite un peu d’expérience » pour ne pas se démobiliser face aux multiples tracasseries et au choc interculturel (« il y a plus grave dans la vie »). Il y a une nécessité de pouvoir prendre du recul.

Au niveau de la Métropole, elle fait un courrier de demande de détachement auprès de la RH : « la Métropole est une grosse machine, le chargé des détachements a pris en charge le dossier : administrativement c’est huilé ».

En termes de préparation, Karine LAMBERT indique avoir peu préparé son expatriation : « j’ai surtout préparé mon départ du Grand Lyon avec la préparation de l’intérim et la mise à plat des différents process et règles qui avaient mis en place dans le cadre du travail de restructuration et d’organisation de la Direction. Il était nécessaire de ne pas perdre les acquis et de pouvoir poursuivre la mise en œuvre du travail collectif conduit sur les derniers mois. Il était important que cela ne parte pas dans tous les sens et que mon départ impacte le moins possible la direction ».

« Et quand je suis partie, j’ai eu une peur qui m’a saisie un instant ».

Au Qatar, la mission est délicate : travailler sur les déchets, « matière haram » c’est-à-dire interdite par la religion, est complexe. De plus, « l’organisation du travail au Qatar est foncièrement différente de celle que nous connaissons et pratiquons usuellement. Il est important de pouvoir s’adapter et de faire preuve de patience pour construire la confiance nécessaire ».

De plus, il est important de sortir de notre modèle européen pour proposer des solutions : « tout est gratuit ici ou semble l’être (aucune tarification sur les déchets)» nous précise Karine. Sa mission est donc d’avancer par petits pas, de trouver l’argumentaire pour rendre importante la question des déchets. « Le jour où ils décident, ils peuvent tout faire ». Mais cet argumentaire doit être différent de notre argumentation : « il me faut sortir de mon microcosme. Sauver la planète n’est pas le sujet ».

Pour Karine LAMBERT, c’est le premier choc sans doute « On a beau savoir qu’il y a d’autres pensées, d’autres rapport au monde, en France, on reste dans notre microcosme. Ici c’est vraiment un autre monde ».

Mais la mission la passionne : « je découvre un pays jeune avec une grande profondeur culturelle ». Et ces rencontres, cette autre manière de voir le monde l’enrichie fortement : « Vivre certaines situations, cela me fait grandir. Cette diversité de points de vue dans les discussions ouvre d’autres perspectives ».

Les enjeux personnels

Sur le plan personnel, notamment en tant que femme et venant d’un pays laïque, le choc culturel est important. « Même s’il n’y a que 30% des Qatariens et 70 % d’étrangers, ce n’est pas un pays laïque et le poids de la religion est très présent. Cette conservation de la culture est une ambition forte des autorités locales. Ainsi, on fait attention à nos tenues vestimentaires – je mets une veste même s’il fait 45°selon les endroits où je vais – et on acquiert des réflexes qu’il faut maitriser rapidement ».

Les contacts avec les qatariens restent limités.

Mais la forte présence d’expatriés et de lieux pour les étrangers permet de faire des rencontres et de sortir un peu. Toutefois, les gens sont surtout en famille et Karine LAMBERT est partie seule. Elle tisse finalement des relations par les boucles WhatsApp, qui lui permettent de faire des sorties, de sortir dans les bars et les hôtels réservés aux expatriés (au-delà l’attrait touristique reste imité). Mais elle trouve les rencontres assez superficielles pour ces premiers mois (« les mentalités sont très influencées par la culture américaine et les liens semblent assez superficiels »). Ainsi, le relationnel et la nature sont les deux choses qui manquent le plus à Karine.

Pour son arrivée, Expertise France lui dit que « l’expert international est en responsabilité ». Concrètement, elle doit donc gérer elle-même les multiples tracasseries administratives pour obtenir les papiers nécessaires à son séjour et trouver un logement. « Le Ministère qatarien m’a logé à l’hôtel durant le premier mois, ce qui laisse normalement le temps pour obtenir le visa, la carte de résident et le compte en banque qui permettent de louer ensuite un logement ». Bien sûr, si la carte de résident a été obtenue rapidement avec l’accompagnement actif du Ministère d’accueil (sponsor local), rien n’est si simple et elle passe quelques semaines à courir pour arriver à obtenir la nécessaire ouverture d’un compte bancaire local, indispensable pour pouvoir ensuite louer. « Il faut un peu d’expérience et je suis assez à l’aise avec l’administratif. J’ai donc réussi à me débrouiller mais c’est pesant».

Et le retour ?

A sa première expatriation (même si elle reste en France, la Nouvelle Calédonie est à l’autre bout du monde), Karine LAMBERT raconte un retour compliquée dans sa collectivité d’attache, la Région Nouvelle Aquitaine : « ils avaient eu l’impression d’être lâchés et à mon retour, j’ai été mise en surnombre. J’ai compris que la mécanique d’ouverture de postes à mon grade n’était pas finalement si simple et fluide. J’ai finalement obtenu une mission ponctuelle auprès d’un DGA. J’ai rapidement cherché ailleurs. »

Pour la Métropole de Lyon, Karine LAMBERT avait, à la suite de ses missions avec le FMI, proposé une réflexion sur les congés solidaires mais elle n’a pas obtenu de réponse à sa proposition. Elle ne se fait pas trop d’illusion pour son retour « quand vous revenez, ils vous ont oublié ». Toutefois, elle veille à garder des contacts professionnels (« on échange parfois sur le Solaire avec mon réseau pro »). Elle a quelques échanges à l’occasion sur les dossiers professionnels qu’elle suivait à Lyon (« il n’y pas de curiosité sur mon poste alors que par exemple, les entreprises lyonnaises pourraient tirer profit de mon positionnement »). D’après Karine, « il peut exister un ressentiment, un sentiment de trahison, comme si on les avait lâchés ». Mais il n’y a aucun contact, aucune envie de sa collectivité !

Pour l’instant son contrat est conclu au minimum jusqu’à l’été 2025. La question du retour n’est pas encore à l’ordre du jour, même si elle reste présente dans les esprits car il s’agira d’une nouvelle étape.

Son conseil

Pour Karine LAMBERT cette expérience est une ouverture et un ressourcement. « Je me retrouve moi-même. Je n’ai plus les responsabilités de management, avec la pression et ce qui va avec, j’ai bien évidemment de nouvelles responsabilités et de la pression mais c’est différent. Je me retrouve plus au clair avec moi-même et mon sujet de travail. Cette expérience a également été pour moi l’opportunité en « quittant le nid » d’accompagner ma fille dans sa capacité à vivre seule et à se faire confiance après une première expérience difficile lors de la période Covid. Et rien que ce point c’est quelque chose de positif et satisfaisant.».

Ainsi, elle recommande de partir pour sortir de sa zone de confort et ainsi savoir qui on est. Il faut juste se faire confiance.

Entretien réalisé par Yannick Lechevallier

https://www.linkedin.com/in/yannick-lechevallier-23059819/

Juillet 2024


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