Judith SYLVA


Sao Tomé et PrincipeEn poste au moment de la rédactionDétachementPlus de cinq ansBrésil

Judith SYLVA a 46 ans. Après 12 ans en Seine-Saint-Denis (et d’autres missions avant) elle candidate au Ministère des Affaires Étrangères et le réseau des Alliances françaises la recrute. D’abord à Sao Tomé (« expérience un peu extrême » surtout en période du COVID), puis Brasilia où elle dirige une grande Alliance de 50 personnes. Elle nous partage dans cet entretien ses expériences personnelle et professionnelle enrichissantes.
Entretien réalisé en mars 2024

Son parcours

Après une maîtrise en Enseignement du français comme langue étrangère à l’Université Sorbonne Nouvelle, Judith SYLVA part un an comme assistante de français à Lübeck en Allemagne, au sein d’un lycée. A son retour en France en 2000, elle est recrutée comme contractuelle par la ville de Dugny (93). Par la suite, durant deux années, elle assure la fonction de Directrice adjointe d’actions de quartier à la ville de Nanterre (92) avant de rejoindre la ville de Romainville (93) comme Directrice de Centre social. Après ces six années en tant que contractuelle, elle passe le concours d’attachée.

Concours en poche, Judith SYLVA est recrutée par le Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis où elle restera presque 12 ans. Différents postes se succèdent : Chargée de projet jeunesse durant quatre ans ½ puis Cheffe de projet Vie Associative durant deux années. En 2013, après le passage de l’examen professionnel, elle est nommée attachée principale et devient Directrice déléguée de la vie associative et de l’éducation populaire. Elle reste à ce poste jusqu’en 2018.

Parallèlement, de 1999 à 2015, elle intervient dans diverses associations comme formatrice en FLE – Français Langue Étrangère – et s’investit dans différentes associations éducatives et culturelles. Ces activités pèsent sans doute quand elle candidate pour un poste en Alliance française.

Judith SYLVA souhaitait partir mais elle s’était toujours interdite de postuler au MEAE (« je pensais que ce n’était pas pour moi »). Finalement elle dépose sa candidature lors de la campagne de recrutement de l’été 2016. Durant l’entretien, on lui explique que son profil correspond à un type de poste spécifique et qu’elle devrait valoriser certains points : le fait d’être lusophone, ses expériences dans la formation en FLE et sa maîtrise des questions liées à la vie associative du fait de son parcours professionnel. Elle réoriente sa candidature en 2017 en tenant compte de ces éléments et postule pour la direction d’Alliances Française. Elle effectue 4 vœux. Cette seconde tentative est la bonne : sa candidature est retenue.

De 2018 à 2021, elle assure la direction de l’Alliance Française de Sao Tomé-et-Principe. Puis, en septembre 2021 elle traverse l’Atlantique pour rejoindre Brasilia et l’Alliance Française de la capitale du Brésil qu’elle dirige depuis.

Judith SYLVA est expatriée depuis 5 ans ½.

Le fonctionnement sur place

Le départ a d’abord été un peu complexe. En effet, le Ministère annonce à Judith SYLVA qu’elle est retenue en février 2018 mais elle ne recevra la validation officielle que le 31 mai 2018. En attendant, elle commence, dès le mois de mars à en parler notamment à son DGS, puis elle en informe la DRH.

Son DGS qui revenait lui-même d’expatriation, l’encourage dans sa démarche. Mais avec la Direction des Ressources humaines, cela est plus compliqué. Tout d’abord, Judith rencontre des difficultés pour valider sa demande de détachement mais « j’obtiens finalement l’arrêté dans les temps ». Puis dans son suivi de carrière « les avancées d’échelon ne sont pas faites et lors des renouvellements de contrats, je n’ai pas les bons arrêtés, etc. » avec pour résultat des problèmes pour le suivi de sa comptabilité-retraite. Pour Judith SYLVA, il y a une méconnaissance de ces situations d’expatriation par les services et « à l’étranger, on ne fait plus trop partie du Département ».

Du côté du MEAE, elle n’a aucune difficulté pour le départ (« ils sont plus au fait »). Pour le tuilage, elle est partie à Sao Tomé et Principe, pendant ses vacances, durant une semaine pour rencontrer sa prédécesseuse.

Le statut est particulier car en tant que Directrice, Judith SYLVA est détachée par le MEAE dans une association de droit local. Elle a donc une double hiérarchie : le COCAC et son conseil d’administration. « Pour moi c’est hyper-intéressant cette double tutelle. C’est un équilibre fin et tout en nuances ».

A Sao Tomé, il n’y avait pas d’Ambassade ndrsur place : « l’Ambassade était positionnée au Gabon » Durant le Covid, les vols sont supprimés, et pendant 1 an ½ il n’y aura pas de mission de l’Ambassade. « L’autonomie était assez extrême » d’autant que c’est la seule Alliance Française (le pays compte un peu plus de 210 000 habitants) et que Judith est la seule agente du MEAE. Durant la pandémie elle fera donc le lien avec l’Ambassade sur les questions liées au Covid dans le pays.

A Brasilia, elle dirige une équipe de 50 personnes avec donc une grande responsabilité RH et juridique. « Au Brésil, les questions de droit du travail sont très prégnantes. J’ai renforcé mes compétences sur les RH et le juridique ». Par ailleurs, le Brésil accueille 34 Alliances Françaises (pour rappel, la population brésilienne est de 215,3 millions habitants). Le travail en réseau est très fort. Et comme son Alliance est à la capitale, elle a des relations quasi quotidiennes avec l’Ambassade.

Sur le plan professionnel, le poste en Alliance change beaucoup de ceux qu’elle occupait dans la fonction publique. « Désormais, je gère une petite entreprise ». Par exemple, elle doit assurer le marketing, trouver le modèle économique, assumer les procès… (« des questions qui se posent peu en collectivité »). Et ce poste de direction demande beaucoup d’investissement et une disponibilité à tout moment.

Judith SYLVA a toujours été très bien accueillie par ses équipes. Elle sait (et toute l’équipe aussi) qu’elle est de passage, au maximum pour quatre ans, alors que la plupart de ses collaborateurs sont là depuis beaucoup plus longtemps et resteront bien après elle. Ainsi « le projet d’établissement doit être partagé ». Mais elle ressent toujours un regard très positif sur les Français. Judith SYLVA précise : « si je n’avais pas parlé portugais, surtout à Brasilia, c’était mission impossible ».

Les enjeux personnels

Le projet d’expatriation, selon Judith SYLVA, doit être un projet familial car « la place du conjoint n’est pas facile ». Dans son cas, son mari « a démissionné pour venir avec moi en sachant pertinemment qu’il ne retrouverait pas un emploi à Sao Tomé ». Au Brésil, malgré la taille de la ville, cela reste compliqué.

Judith SYLVA a aussi emmené ses deux enfants (6 et 9 ans) dès son premier poste. « Le plus jeune entrait en CP et il n’y avait pas d’école française à Sao Tomé ». Les enfants sont donc scolarisés durant trois ans, dans une école portugaise. « Ils se sont parfaitement adaptés et ils sont désormais totalement bilingues ». Au Brésil, la situation est différente car il existe un Lycée français. « Aujourd’hui, le plus jeune a passé 50% de sa vie à l’étranger. La France c’est un peu vague pour lui ».

Au-delà de la scolarité, Sao Tomé reste une « expérience un peu extrême », notamment lors du COVID. Pour Judith, c’est une expérience assez difficile à partager. Elle vit les drames familiaux à distance.

A son arrivée, à chaque fois, elle bénéficie heureusement de l’appui des équipes des Alliances. La famille a pris l’habitude de voyager léger : « À quatre, nous voyageons avec huit valises et nous trouvons les meubles sur place ». A Sao Tomé, « en partant, on a tout donné ». « Les enfants sont peu attachés aux choses matérielles ».

A Brasilia comme à Sao Tomé, pour Judith SYLVA, ce qui a été le plus étonnant « c’est de devenir une expatriée ». Elle nous explique que lorsque vous partez vivre hors de France, on sait que ce n’est que pour quelques années. Ainsi, si les relations tissées peuvent être profondes, « vous gardez toujours à l’esprit que vous allez repartir et que vous ne reverrez plus ces gens. C’est un sentiment assez particulier. »

Au niveau financier, même si le salaire d’expatriée est confortable, Judith rappelle « on n’avait qu’un seul salaire puisque mon mari ne pouvait pas travailler ». Pour les problèmes de santé, il faut vraiment avoir la mutuelle et l’assurance santé-rapatriement : « pour exemple, mon mari, pour un problème de santé, a dû débourser 1000€ pour une échographie, une consultation et des antidouleurs ». L’inscription au Lycée français coûte cher aussi. Et elle précise « en tant qu’expatriée, il y a une indemnité du MEAE pour les enfants, mais il n’y a plus d’allocation CAF, etc… ».

En fait, pour Judith, « on apprend à réfléchir différemment avec un autre référentiel : aller au restaurant est beaucoup moins cher, mais le lycée français, c’est 650 € / mois. »

Ce qui reste essentiel c’est que la famille a trouvé ce qu’elle recherchait : les rencontres.

A Sao Tomé, « Le pays est tout petit et l’Alliance Française est le principal centre culturel du pays. Il n’y a pas d’anonymat ». Et ses collègues de l’Alliance sont très accueillants.

Au Brésil, outre le fait « que les Brésiliens adorent les Français », à l’Alliance travaille une grande majorité de brésiliens donc elle est plongée dans la culture locale. « Et mes enfants sont désormais bilingues et adorent le foot » : une vraie famille brésilienne.

Et le retour ?

Judith SYLVA termine son contrat en août 2025. Son retour l’angoisse un peu car elle sait que « toutes les compétences acquises seront peu valorisées en France ». Ces 2 expériences en Alliance Française lui ont permis de développer et de renforcer de nombreuses compétences : finances, RH, juridique, culturel, marketing « mais comment valoriser cela au retour ?».

Elle revient en France tous les ans ou tous les deux ans. Il est parfois difficile de partager ce qu’elle vit au quotidien avec ses amis ou anciens collègues. Les questions sont souvent matérielles « il fait beau toute l’année ? ». C’est parfois difficile d’expliquer le décalage : par exemple, avoir vécu la pandémie à Sao Tomé, dans un dénuement sanitaire total et complètement isolée du reste du monde. Et « pour beaucoup de touristes qui venaient, Sao Tomé, c’était le paradis alors qu’à certaines périodes quand je rentrais chez moi, il n’y avait pas d’eau ou pas d’électricité ! »

Son conseil

Lorsque Judith a discuté de son départ, elle a entendu beaucoup de remarques du type « tu as de la chance, j’aurai voulu le faire aussi mais je ne peux pas parce que… ». Pour elle, si on veut partir, il faut partir, « il faut avoir confiance et se lancer ».

Deux conseils reviennent lorsqu’on discute avec Judith SYLVA : une expatriation doit être un projet familial et il faut vouloir découvrir une autre culture, et laisser derrière soi nombre de certitudes.

Et Judith Sylva termine notre entretien par un point important : « Je me suis trop inquiétée pour mes enfants. En fait, ils s’adaptent de manière formidable. Si on est bien, eux le vivent bien ! »

Entretien réalisé par Yannick Lechevallier

https://www.linkedin.com/in/yannick-lechevallier-23059819/

Mars 2024


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