Après un master « Pratique des organisations internationales et protection des droits de l’homme » en 2003, et avoir obtenu son concours d’attachée territoriale, Shabanna FERGA LE MARCHAND rejoint la ville de Saint Brieuc en 2004. Elle est chargée de mission Relations internationales et à ce titre, elle assure la mise en œuvre de la coopération décentralisée avec 4 territoires (Agadez au Niger, Gabès en Tunisie, 2 villages dans les Territoires Palestiniens et Gorazde en Bosnie) et anime le réseau des associations de solidarité internationale de la commune durant plus de 6 années.
Fin 2010, Shabanna FERGA LE MARCHAND saisit une opportunité : la Région Pays de la Loire, dans le cadre de sa coopération décentralisée avec le Burundi, recherche un-e expatrié-e. La famille maternelle de Shabanna FERGA LE MARCHAND est installée au Burundi. Elle postule et obtient le poste.
Elle y restera presque 5 ans à Bujumbura avant de suivre son conjoint qui part ouvrir une boulangerie –pâtisserie à Oman. Suivent alors deux années intenses qui se terminent brusquement. De retour en France en décembre 2016, elle prend quelques mois pour trouver un nouveau poste avant de poser ses valises avec sa famille à Evian Les Bains en n mai 2017.
Son départ
En 2011, cela fait près de 7 années qu’elle est à Saint Brieuc. Des envies de changements se font jour. Après tout ce temps en France sur l’international, elle souhaite « vivre le terrain et être au contact » Son mari est alors en pleine reconversion professionnelle et souhaite s’installer comme boulanger/pâtissier. Un projet familial de création d’une boulangerie à Bujumbura voit le jour. Shabanna FERGA LE MARCHAND est prête à prendre une disponibilité pour rapprochement de conjoint et à partir.
Elle sollicite alors des informations auprès de la Région qui a une coopération au Burundi et découvre l’ouverture d’un poste. Elle candidate immédiatement : « un parfait alignement des planètes ». Tout va très vite entre la candidature, le recrutement et son départ : elle postule en décembre 2010 et part en février 2011. Entre temps, elle a demandé une mutation à la ville de Saint Brieuc et rejoint les équipes de la Région. La ville de Saint Brieuc comprend son souhait de mobilité et facilite les démarches de mutation., elle part en tant qu’attachée territoriale de la Région, expatriée.
Puis en 2015,pour le sultanat d’Oman, elle pose une disponibilité pour rapprochement de conjoint. Pour la Région, c’est une agent de moins à réintégrer à une époque où la coopération décentralisée est arrêtée du fait des évènements violents au Burundi.
Le fonctionnement sur place
Sur le plan statutaire, le poste est une expatriation par le Conseil régional. Shabanna FERGA LE MARCHAND reste donc attachée à la Région. Elle perçoit le même salaire ainsi qu’une indemnité pour le logement. Le service des Ressources humaines est plutôt aidant et compréhensif. Toutefois, Shabanna FERGA LE MARCHAND n’est pas affiliée aux organismes d’expatriation habituels (caisse de retraite des Français de l’étranger, …).
La vie n’est pas toujours simple. Les déplacements tout d’abord : « je revenais seule en France avec mes jumeaux et mon ainé – 24h de voyage avec des galères pour les vols (il faut confier un des deux jumeaux à un voisin que vous ne connaissez pas et qui vous maudit à l’arrivée après 10h de vol avec un nourrisson sur les genoux ».) Ensuite la famille a été victime d’un cambriolage traumatisant en mars 2012 : les individus ont pénétré dans leur maison alors que les parents étaient à leur travail et les enfants étaient dans la maison avec la nourrice. « le soutien de l’ambassade a été très fort alors, nous permettant d’avoir un visa immédiatement pour la nourrice pour rentrer 15 jours en France ».
Malgré tout, pour Shabanna FERGA LE MARCHAND, la vie en France semble plus rude. « je trouvais la vie plus douce, plus simple. Ici les gens ont une vie trop remplie ». Même si l’administration burundaise est très compliquée, il y a toujours une solution. On dit alors que « le miracle burundais va opérer ».
Le coup d’état a été un moment très difficile à vivre. Il a fallu fermer le bureau dans la précipitation, prévoir la mise en sécurité des locaux et du personnel burundais, et puis plier bagage en quelques jours. J’étais seule à Bujumbura, j’avais déjà renvoyé mes enfants en France. J’étais réfugiée avec des expatriées à quelques centaines de mètres de l’endroit où il y a eu les combats les plus violents. J’ai pu quitter le pays dans le premier vol pour la France, au moment où l’espace aérien a été rouvert. J’ai eu longtemps le sentiment d’avoir abandonné le Burundi au moment où il traversait une page très sombre de son histoire. Et de voir la coopération s’arrêter de manière brutale, ça nous a tous bouleversés. Tant d’année de travail, d’engagement des partenaires des 2 pays, et de projets laissés en plan.
Je suis restée en France jusqu’en août 2015, le temps d’obtenir le visa famille pour Oman.
Les enjeux personnels
Quand Shabanna FERGA LE MARCHAND part en février 2011, c’est avec son mari et son fils de 3 ans. En décembre 2010, elle informe la Région de sa grossesse gémellaire, mais s’engage à prendre son poste et à rester au Burundi le plus longtemps possible. La région a fait preuve d’une grande compréhension et a remplacé Shabanna FL durant son congés de maternité pendant 6 mois.. Elle revient en France à l’été pour la fin de sa grossesse avant de repartir en décembre 2011, cette fois avec ses trois enfants (des jumeaux ont agrandi la famille).
Au Burundi, elle n’arrive pas en terre inconnue : « j’ai de la famille sur place ». Elle est donc revenue avec ses trois enfants (4 mois et 3ans1/2) et six valises. L’ainé est mis à la crèche au premier semestre puis intègre l’école maternelle (belge) avant l’école primaire (française) après quelques années. Pour trouver son logement, elle passe un contrat avec une agence immobilière pour identifier une location dans un quartier de classe moyenne avec quelques expatriés. Au-delà de la famille, les liens se tissent essentiellement via les relations autour des enfants et des écoles.
En 2015, son mari a l’opportunité de partir au Sultanat d’Oman pour accompagner « un beau projet ». Shabanna FERGA LE MARCHAND demande alors une disponibilité pour rapprochement de conjoint d’abord pour un an puis une deuxième année. Le projet à Oman démarre bien. Elle ne peut toutefois travailler officiellement. Selon les lois locales, elle est sur le visa de travail de son mari.
Le projet se déroule avec une équipe très sympathique, jusqu’en décembre 2016, moment où les investisseurs omanais changent de stratégies et se sépare de son mari : plus de travail donc plus de visa : « en trois semaines, il a fallu plier bagages et revenir en France, en plein milieu de l’année scolaire ». La famille revient alors en Bretagne « chez mes parents » le 16 décembre 2016.
Et après ?
Ce retour brusque n’était pas prévu : « Nous n’étions pas préparés, cela a été très brutal ». Son mari retrouve un travail assez rapidement mais à Evian. Shabanna FERGA LE MARCHAND reste quelque temps chez ses parents et entame un accompagnement/coaching pour savoir ce dont elle a envie. Elle postule sur deux ou trois postes, notamment à Genève dans les organisations internationales. Comme elle a son statut d’agent territorial, elle cherche dans les collectivités autour d’Evian (la réintégration à la Région Pays de la Loire n’est alors pas dans ses options, du fait de l’éloignement du poste de son mari et aussi des réorientations de la politique de coopération à la suite du changement de majorité régionale).
Shabanna FERGA LE MARCHAND candidate à Annemasse sur un poste d’adjointe à la responsable du service Education. « Annemasse est une collectivité gérée sur le principe de l’entreprise libérée avec une grande confiance accordée aux agents. La DGA que je rencontre est tout de suite séduite par mon profil atypique – d’ailleurs nous sommes deux au sein du pôle cohésion sociale à avoir un parcours similaire ». Durant l’entretien, quelques questions portent sur son expérience d’expatriation et son interlocutrice « saisit tout de suite ce que mon parcours peut apporter ».
Par contre, si la ville d’Annemasse a une action internationale, notamment avec la Cité des Solidarités (un espace d’incubation pour ONG), jamais personne du service Relations internationales n’est venu solliciter Shabanna FERGA LE MARCHAND pour son expérience. Elle s’est présentée une fois mais le service International « n’a pas saisi la perche ».
Selon Shabanna FERGA LE MARCHAND, son expérience permet notamment, sur ce poste où le contact avec les familles est important, de mieux comprendre les usages divers liés à la multiplicité des nationalités présentes sur la commune.
Mais surtout, avec les multiples situations qu’elle a vécues, Shabanna FERGA LE MARCHAND considère avoir une capacité de prise de recul importante. « Souvent, les agents surréagissent. Mes collègues me demandent régulièrement « comment fais-tu pour garder ton sang-froid ? » ».
Son expérience tant au Burundi qu’à Oman a développé chez Shabanna FERGA LE MARCHAND une capacité relationnelle importante, qui lui permet d’être à l’aise dans le contact et la négociation « avec le pécheur comme avec l’ambassadeur » : « cela me sert avec les parents d’élèves comme avec les élus locaux ».
Mais aussi dans son management, elle a appris la rigueur de la méthode « projet » tout en ayant une approche très participative (qui est, à Annemasse, en accord avec le concept d’entreprise libérée). « le droit à l’erreur est pour moi naturel ». Shabanna FERGA LE MARCHAND est ainsi dans une pratique professionnelle bienveillante, « orientée solutions ». Dans son service, par rapport à un logiciel très procédural « on a simplifié au maximum, chacun connait sa sphère de décision. Pour cela, il faut nouer de la relation au quotidien. Tout repose sur la relation et la confiance. Cette année, avec les 2 élues référentes, nous avons rencontré les 300 agents du service avec un moment de parole libre pour tisser la confiance. C’est vraiment lié à une posture adoptée lors de mon expérience au Burundi qui est se trouve être en totale adéquation avec la culture professionnelle de la collectivité».
Son conseil
Selon Shabanna FERGA LE MARCHAND, pour profiter pleinement d’une mission longue à l’étranger, il faut « arriver avec un regard neuf, laisser ses idées de côté et avoir l’envie d’apprendre en gardant un esprit positif ». Pour elle, la préparation doit être limitée et il faut sauter le pas et savoir nouer les liens. « L’adaptation se fait plus facilement dans ce sens qu’au retour ».
Toutefois, elle reconnait qu’en situation tendue (son cambriolage notamment), « on n’est pas dans son pays. Comment réagir, notamment émotionnellement, face à des réalités et postures tellement différentes ? ».
Ces expatriations ont été une grande expérience de vie pour la famille. Et Shabanna FERGA LE MARCHAND avoue : « le Burundi me manque ».
Entretien réalisé par Yannick Lechevallier
Juillet 2022