Dès l’université, Johan DELORY parcourt le monde. En 2003, en vue d’obtenir sa licence de sciences économiques à l’université de Bordeaux, il part une année en Erasmus à la Leeds Trinity University dans le West Yorkshire en Grande Bretagne. Puis, dans le cadre de son cursus de double diplôme Sciences Po Bordeaux et master, il part trois mois en stage à l’Ambassade de France à Chypre. L’année suivante, il crée une association pour porter une idée de reportage sur le micro-crédit. Au cours des 9 mois suivants, il obtient un soutien de l’ONG Planet Finance et part en Argentine, Bolivie et Equateur pour rencontrer les porteurs de projet.
Alors qu’il est en fin de master, juste avant de partir en Argentine, Johan DELORY passe et réussi le concours de la fonction publique territoriale. A son retour il postule au Conseil régional d’Aquitaine pour valider son concours. Il est recruté sur un poste lié à l’international : il s’occupe de la mobilité internationale des étudiants et des chercheurs. Bilingue en espagnol, il a la responsabilité notamment des liens avec l’Espagne. Mais le virus de l’international le tient et à peine deux ans après avoir été recruté à la Région, il candidate pour un poste de VIA (Volontaire international en Administration) – il n’a que 27 ans et souhaite profiter de ce dispositif (https://mon-vie-via.businessfrance.fr/qu-est-ce-que-le-volontariat-international) . Il postule dans un premier temps pour un poste à la Havane mais intègre finalement la prestigieuse Ambassade de France à Washington. Il est chargé d’analyser la politique américaine en termes de recherche et d’études supérieures. Il rédige de nombreuses notes d’analyse pour l’Ambassadeur mais surtout, ce poste lui permet de suivre les travaux du Congrès ou du Sénat américain. Son objectif alors est d’obtenir dans les deux années un contrat au sein de la Banque Mondiale (World Bank). Mais il n’y arrive pas et à la fin de ses deux années de visa, il doit rentrer en France.
Sa supérieure directe à l’Ambassade qui était la conseillère Recherche et Enseignement supérieure le met en lien avec le Ministère de l’Education nationale. Johan DELORY candidate et est retenu pour un poste de chargé de mission Amérique du Nord. Il rentre à Paris. Mais sa femme étant américaine, il quitte Paris après 20 mois et retourne aux Etats Unis, sans succès professionnel hélas.
Un ami du réseau français l’informe alors d’un poste de DAREIC (Délégué Académique aux Relations Européennes, Internationales et coopération) à Bordeaux. Il candidate. Le Recteur lui pose trois questions et l’embauche. La famille traverse l’Atlantique et s’installe à Bordeaux à l’hiver 2013.
En 2017, nouveau départ aux Etats Unis. Johan DELORY réussit à avoir quelques missions pour une structure satellite de la Banque Mondiale, pour laquelle il réalise des études sur l’économie de l’éducation, des évaluations, etc.
En 2020 il rentre en France et sollicite sa réintégration au Conseil régional d’Aquitaine. Il rejoint alors le service de l’évaluation des politiques publiques.
Son départ
Pour son premier départ en tant que VIA, comme ce n’est pas un contrat d’expatrié, Johan DELORY ne peut bénéficier d’un détachement. Il sollicite donc une disponibilité. L’indemnité est alors de 2000€ net d’impôts ce qui est suffisant pour un jeune (selon lui).
Pour son troisième départ, il ne part pas complétement dans l’inconnu mais professionnellement il ne s’appuie que sur quelques liens LinkedIn et de l’ambassade de France. C’est son réseau d’amis constitué au fil des expatriations qui lui permet d’ouvrir certaines portes.
Le fonctionnement sur place
En 2009, en tant que VIA, Johan DELORY rejoint une communauté importante de jeunes basés à l’ambassade qui est très dynamique. Mais résultat « on est tout le temps ensemble et il est difficile de s’en extraire ». Il prend alors le parti de s’installer en collocation avec des Américains. Il rencontre plus de monde mais remarque qu’il « est difficile de tisser des liens. Si le premier contact est facile, cela reste superficiel, dans l’apparence ». Il ne réussira pas à tisser des liens d’amitiés solides lors de cette première expatriation. En plus, en tant qu’expatrié international, basé à l’Ambassade, il se rend rapidement compte que les rencontres sont parfois le fait de gens pas toujours bien intentionnés ce qui complique aussi l’intégration.
Pour sa seconde puis troisième expatriation, la situation est plus compliquée : trouver un emploi aux Etats Unis est relativement complexe et le cadre administratif est très contraignant. Ainsi, à la fin de son VIA (et donc de son visa), Johan DELORY doit revenir en France. Il fait une nouvelle tentative au début de l’année 2013 mais n’arrive pas à trouver l’emploi qui lui convient. Retour après 7 mois, en France.
Puis lors de son troisième départ , en janvier 2017, il s’appuie sur la communauté locale française. Il finit par décrocher un entretien avec un service de la Banque mondiale pour un contrat de 3 ans espère-t-il. Finalement ce sera pour un contrat de 20 jours ( !). Mais cela lui permet d’obtenir son visa de travail et de rester. Ensuite « on enchaîne ».
Pour Johan DELORY, si son expérience de VIA fût très enrichissante, l’expérience de consultant aux USA apparait très compliquée. Il ne trouve pas de contrat long terme et enchaine donc les contrats courts avec de multiples contraintes. Il faut notamment ne pas dépasser les 150 jours par an de contrat et sortir puis re rentrer dans le pays régulièrement pour rester en règle avec les procédures américaines d’immigration (tous les 90 jours). Et surtout, « on fait ce que les employés salariés ne peuvent pas… ou ne souhaitent pas faire ! » donc des tâches souvent moins intéressantes.
Au final, le fonctionnement administratif et financier américain lui parait très lourd « on doit tout payer : éducation, santé, culture, … ». « J’ai eu un accident de santé et heureusement que je suis rentré en France » nous explique Johan DELORY.
Les enjeux personnels
Lors de son VIA, Johan DELORY a rencontré sa compagne qui deviendra sa femme. Ne pouvant rester aux Etats Unis après son VIA (fin de visa), il doit rentrer en France mais il la rejoint en 2013 après 20 mois. Pour pouvoir rester aux USA, ils se sont mariés et il sollicite une disponibilité pour rapprochement de conjoint auprès de la région. Mais malgré 7 mois de recherche, il n’arrive pas à trouver un travail épanouissant. Le couple revient alors en France fin 2013. Mais c’est alors sa femme (de culture mexicaine) qui a des difficultés à trouver un emploi alors qu’elle est ingénieure dans l’aéronautique. Malgré quelques missions d’intérim sur Toulouse, elle repart sur le continent américain où elle retrouve finalement son poste fin 2016.
Johan DELORY sollicite alors une nouvelle disponibilité pour rapprochement de conjoint et repart en janvier 2017 à Washington. Mais au plan familial la situation est devenue compliquée et une procédure de divorce est engagée. En 2020, il revient en France et demande sa réintégration.
Par ses expériences aux Etats Unis, Johan DELORY a pris la mesure de la puissance de la France dans les instances internationales, de son réseau d’influence dans les institutions internationales.
La communauté française lui a aussi été d’une aide importante : « une communauté d’entraide française très forte » selon lui. C’est d’autant plus important « qu’il faut recaler complétement son logiciel de vie » : ainsi, lorsqu’il trouve un logement (grâce à une collègue de travail), il signe un bail d’un mois pour un 47 m2 à 1700 $ le mois. Surtout « en France, énormément de dépenses sont mutualisées et confiées à l’Etat – et on a tendance à l’oublier ».
Pour s’installer, dans un premier temps, il profitera du réseau des auberge de jeunesse avant de trouver un logement par connaissance. Mais il faut rester vigilant dans certaines zones urbaines « Washington peut être une ville dangereuse : il faut un peu connaitre et éviter certains quartiers ».
Et au retour ?
En fait, si Johan DELORY a été recruté par la Région Aquitaine, il est rapidement parti (soit en disponibilité soit en détachement). Ainsi, entre 2009 et 2020, il n’a pas réellement affaire avec la Région si ce n’est pour son suivi statutaire : en 2019, après ses trois dernières années, il demande une extension (il rentre après 3,5 ans). La collectivité n’était pas obligée de lui accorder mais malgré tout, il obtient sa prolongation.
A sa demande de réintégration en 2020, Johan DELORY relance les personnes avec qui il a pu rester en contact depuis son passage en 2007-2009. Mais le service RH de la Région a des difficultés à lui trouver un poste qui permet d’utiliser les compétences développées précédemment. On lui conseille donc de regarder les postes ouverts et de faire acte de candidature. Le premier poste proposé est pour lui synonyme d’une forte régression. Il accepte donc la seconde proposition en tant que chargé d’évaluation.
Mais pour Johan DELORY, il lui semble qu’il n’y a aucune prise en compte de ses expériences de mobilité dans la gestion RH de sa collectivité, voir même une certaine jalousie de certains collègues. D’ailleurs, il se rend compte que « toutes les personnes connues en 2009 sont toujours à la Région. Elles sont juste montées en grade ».
Son conseil
Lorsqu’on demande à Johan DELORY un conseil, il cite René Char « Saisie ta chance, pousse ton bonheur et va vers ton risque ». Mais il rajoute immédiatement « il faut aussi faire attention et trouver un savant équilibre en assurant ses arrières – ce qui est délicat quand on a moins de 30 ans »
Il termine par nous recommander deux ouvrages historiques : « Guns, Germs and Steel » par Jared Diamond et « Sapiens » par Yuval Noah Hariri.
Entretien réalisé par Yannick Lechevallier
Juillet 2022